Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes antiques.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
LA VISION DE BRAHMA.


Dans l’Œuf irrévélé qui contient tout en germe,
Sous mon souffle idéal je l’ai longtemps couvé ;
Puis, vigoureux, et tel que je l’avais rêvé,
Pour éclore, il brisa du front sa coque ferme.

Dès son premier élan, rude et capricieux,
Je lui donnai pour loi ses forces naturelles ;
Et, vain jouet des combats qui se livraient entre elles,
De sa propre puissance il engendra ses Dieux.

Indra roula sa foudre aux flancs des précipices ;
La mer jusques aux cieux multiplia ses bonds ;
L’homme fit ruisseler le sang des étalons
Sur la pierre cubique, autel des sacrifices.

Et moi, je m’incarnai dans les héros anciens ;
J’allai, purifiant les races ascétiques ;
Et, le cœur transpercé de mes flèches mystiques,
L’homme noir de Lanka rugit dans mes liens.

Toute chose depuis fermente, vit, s’achève ;
Mais rien n’a de substance et de réalité,
Rien n’est vrai que l’unique et morne Éternité
Ô Brahma ! toute chose est le rêve d’un rêve.

La Mâyâ dans mon sein bouillonne en fusion,
Dans son prisme changeant je vois tout apparaître ;
Car ma seule Inertie est la source de l’Être :
La matrice du monde est mon Illusion.