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POÈMES ANTIQUES.


Les Apsaras, rompant les chœurs au vol agile,
S’accoudèrent sur l’herbe où fleurit le saphir ;
Le saint Fleuve en suspens cessa de retentir
Et se cristallisa dans sa chute immobile.

Un vaste étonnement surgit ainsi de tout
Quand Brahma se fut tu dans l’espace suprême :
Le Géant affamé, le Destructeur lui-même,
Interrompit son aeuvre et se dressa debout.

Et voici qu’une Voix grave, paisible, immense,
Sans échos, remplissant les sept sphères du ciel,
La voix de l’Incréé parlant à l’Éternel,
S’éleva sans troubler l’ineffable silence.

Ce n’était point un bruit humain, un son pareil
Au retentissement de la foudre ou des vagues ;
Mais plutôt ces rumeurs magnifiques et vagues
Qui circulent en vous, mystères du sommeil !

Or Brahma, haletant sous la Voix innommée
Qui pénétrait en lui, mais pour n’en plus sortir,
Sentit de volupté son cœur s’anéantir
Comme au jour la rosée en subtile fumée.

Et cette Voix disait : — Si je gonfle les mers,
Si j’agite les cœurs et les intelligences,
J’ai mis mon Énergie au sein des Apparences,
Et durant mon repos j’ai songé l’Univers.