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POÈMES ANTIQUES.


Puis, abaissant les yeux, il dit : — Maître des maîtres,
Dont la force est interne et sans borne à la fois,
Je ne puis concevoir, en sa cause et ses lois,
Le cours tumultueux des choses et des êtres.

S’il n’est rien, sinon toi, Hâri, suprême Dieu !
Si l’Univers vivant en toi germe et respire ;
Si rien sur ton essence unique n’a d’empire,
L’action, ni l’état, ni le temps, ni le lieu ;

D’où vient qu’aux cieux troublés ta force se déchaîne ?
D’où vient qu’elle bondisse et hurle avec les flots ?
D’où vient que, remplissant la terre de sanglots,
Tu souffres, ô mon Maître, au sein de l’âme humaine ?

Et moi, moi qui, durant mille siècles, plongé
Comme un songe mauvais dans la Nuit primitive,
Porte un doute cuisant que le désir ravive,
Ce mal muet toujours, toujours interrogé ;

Qui suis-je ? Réponds-moi, Raison des Origines !
Suis-je l’âme d’un monde errant par l’infini,
Ou quelque antique Orgueil, de ses actes puni,
Qui ne peut remonter à ses sources divines ?

C’est en vain qu’explorant mon cœur de toutes parts,
J’excite une étincelle en sa cavité sombre...
Mais je pressens la fin des épreuves sans nombre,
Puisque ta Vision éclate à mes regards.