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ÇUNACÉPA.

Çunacépa lui dit : — C’est bien. Je te salue,
Mon père, et je t’en crois ; ma mort est résolue ;
Et trop longtemps, vain jouet des brèves passions,
J’ai disputé mon âme aux Incarnations.
Mais, par tous les dêvas, ô sage, elle est si belle !
Taris ses pleurs amers, prie et veille pour elle,
Afin que je m’endorme en bénissant ton nom. —
Alors Çanta, les yeux étincelants : — Oh ! non,
Maître ! Non, non ! Tu veux éprouver son courage !
La divine bonté brille sur ton visage ;
Secours-le, sauve-moi ! J’embrasse tes genoux,
Mon père vénérable et cher ! Vivre est si doux !
Puissent les Dieux qui t’ont donné la foi suprême
T’accueillir en leur sein ! Vois, je suis jeune et j’aime ! —
Telle Çanta, le front prosterné, sanglotait ;
Et l’Ascète, les yeux dans l’espace, écoutait :

— J’entends chanter l’oiseau de mes jeunes années,
Dit-il, et l’épaisseur des forêts fortunées
Murmure comme aux jours où j’étais homme encor.
Ai-je dormi cent ans, gardant tel qu’un trésor
Le souvenir vivant des passions humaines ?
D’où vient que tout mon corps frémit, et que mes veines
Sentent brûler un sang glacé par tant d’hivers !
Mais assez, ô Mâyâ, source de l’univers !
C’est assez, j’ai vécu. Pour toi, femme, pareille
À l’Apsara qui court sur la mousse vermeille,
Et toi, fils du Brahmane, écoutez et partez,
Et ne me troublez plus dans mes austérités.