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POÈMES ANTIQUES.

La vie est comme l’onde où tombe un corps pesant :
Un cercle étroit s’y forme, et va s’élargissant,
Et disparaît enfin dans sa grandeur sans terme.
La Mâyâ te séduit ; mais, si ton cœur est ferme,
Tu verras s’envoler comme un peu de vapeur
La colère, l’amour, le désir et la peur ;
Et le monde illusoire aux formes innombrables
S’écroulera sous toi comme un monceau de sables.

— Ô sage ! si mon cœur est faible et déchiré,
Je ne crains rien pour moi, sache-le. Je mourrai,
Comme si j’étais fait ou d’airain ou de pierre,
Sans pâlir ni pousser la plainte et la prière
Du lâche ou du Çudra. Mais j’aime et suis aimé !
Vois cette fleur des bois dont l’air est embaumé,
Ce rayon enchanté qui plane sur ma vie,
Dont ma paupière est pleine et jamais assouvie !
Mon sang n’est plus à moi : Çanta meurt si je meurs ! —

Et Viçvamitra dit : — Les flots pleins de rumeurs
Que le vent roule et creuse et couronne d’écume,
Les forêts qu’il secoue et heurte dans la brume,
Les lacs que l’Asura bat d’un noir aileron
Et dont les blancs lotus sont souillés de limon,
Et le ciel où la foudre en rugissant se joue,
Sont tous moins agités que l’homme au cœur de boue.
Va ! Le monde est un songe et l’homme n’a qu’un jour,
Et le néant divin ne connaît pas l’amour ! —