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POÈMES ANTIQUES.

Où comme le reptile, en de souples détours,
La liane aux cent nœuds étreint les rameaux lourds,
Et laisse, du sommet des immenses feuillages,
Pendre ses fleurs de pourpre au milieu des herbages ;
Par les sentiers de mousse épaisse et de rosiers,
Où les lézards aux dos diaprés, par milliers,
Rôdent furtifs et font crier la feuille sèche ;
Dans les fourrés d’érable où, comme un vol de flèche,
L’antilope aux yeux bleus, l’oreille au vent, bondit ;
Où l’œil du léopard par instants resplendit ;
Tous deux, le cœur empli d’espérance et de crainte,
Cherchaient Viçvamitra dans sa retraite sainte.
Et quand le jour, tombant des cimes du ciel bleu,
De l’éternelle voûte embrasa le milieu,
Loin de l’ombre, debout, dans une âpre clairière,
Ils le virent soudain baigné par la lumière.
Ses yeux creux que jamais n’a fermés le sommeil
Luisaient ; ses maigres bras brûlés par le soleil
Pendaient le long du corps ; ses jambes décharnées,
Du milieu des cailloux et des herbes fanées,
Se dressaient sans ployer comme des pieux de fer ;
Ses ongles recourbés s’enfonçaient dans la chair ;
Et sur l’épaule aiguë et sur l’échine osseuse
Tombait jusqu’aux jarrets sa chevelure affreuse,
Inextricable amas de ronces, noir réseau
De fange desséchée et de fientes d’oiseau,
Où, comme font les vers dans la vase mouvante,
S’agitait au hasard la vermine vivante,
Peuple immonde, habitant de ce corps endurci,