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POÈMES ANTIQUES.

— Tu veux mourir, dit-elle, et tu m’aimes ! Eh bien,
Le couteau dans ton cœur rencontrera le mien !
Je te suivrai. Mes yeux pourraient-ils voir encore
Le monde s’éveiller, désert à chaque aurore ?
C’est par toi que, l’oreille ouverte aux bruits joyeux,
J’écoutais les oiseaux qui chantaient dans les cieux,
Par toi que la verdeur de la vallée enivre,
Par toi que je respire et qu’il m’est doux de vivre... —

Et des sanglots profonds étouffèrent sa voix.

Alors un grand Oiseau, qui planait sur les bois,
Comme un nuage noir aux voûtes éternelles,
Sur un palmier géant vint replier ses ailes.
De ses larges yeux d’or la prunelle flambait
Et dardait un éclair dans la nuit qui tombait,
Et de son dos puissant les plumes hérissées
Faisaient dans le silence un bruit d’armes froissées.
Puis vers les deux amants, qu’il semblait contempler,
Il se pencha d’en haut et se mit à parler :

— Ne vous effrayez pas de mon aspect sauvage ;
Je suis inoffensif et vieux, si ce n’est sage.
C’est moi qui combattis autrefois dans le ciel
Le maître de Lanka, le Rakças immortel,
Lorsqu’en un tourbillon, plein de désirs infâmes,
Il enlevait Sita, la plus belle des femmes.
De mes serres d’airain et de mon bec de fer
Je fis pleuvoir sanglants des lambeaux de sa chair ;