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POÈMES ANTIQUES.

Que tes yeux, et l’eau vive est moins limpide et pure,
Quand ils rayonnent sous ta noire chevelure ;
Et le son de ta voix m’enivre et chante mieux
Que la blanche Apsara sous le figuier des Dieux !
Oh ! Parle-moi ! Ta bouche est comme la fleur rose
Qu’un baiser du soleil enflamme à peine éclose,
La fleur de l’açoka dont l’arôme est de miel,
Où les blonds bengalis boivent l’oubli du ciel !
Oh ! Que je presse encor tes lèvres parfumées,
Qui pour toujours, hélas ! me vont être fermées !
Et, puisque j’ai vécu le jour de mon bonheur,
Pour la dernière fois viens pleurer sur mon cœur ! —

Comme on voit la gazelle en proie au trait rapide
Rouler sur l’herbe épaisse et de son sang humide,
Clore ses yeux en pleurs, palpiter et gémir,
La pâle jeune fille, avec un seul soupir,
Aux pieds de son amant tomba froide et pâmée.
Épouvanté, baisant sa lèvre inanimée,
Çunacépa lui dit : — Ô Çanta, ne meurs pas ! —
Il souleva ce corps charmant entre ses bras,
Et de mille baisers et de mille caresses
Il réchauffa son front blanc sous ses noires tresses.
— Ne meurs pas ! Ne meurs pas ! Je t’aime, écoute-moi :
Je ne pourrai jamais vivre ou mourir sans toi ! —
Elle entr’ouvrit les yeux, et des larmes amères,
Brûlantes, aussitôt emplirent ses paupières :
— Viens, ô mon bien-aimé ! fuyons ! le monde est grand.
Nous suivrons la ravine où gronde le torrent ;