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POÈMES ANTIQUES.


Les larmes dans les yeux, il ne dort ni ne mange ;
La pâleur de la mort couvre son noble front.
Il t’appelle : ses pleurs ont lavé ton affront,
          Mon frère, et sa douleur te venge. —

Rama lui dit : — J’irai. — Tous deux sortent des bois
Où gît le noir Rakças dans les herbes humides,
Et montent sur le char aux sept jantes solides,
          Qui crie et cède sous leur poids.

La forêt disparaît. Ils franchissent vallées,
Fleuves, plaines et monts ; et, tout poudreux, voilà
Qu’ils s’arrêtent devant la grande Mytila
          Aux cent pagodes crénelées.

D’éclatantes clameurs emplissent la cité,
Et le Roi les accueille et dit : — Je te salue,
Chef des guerriers, effroi de la race velue
          Toute noire d’iniquité !

Puisses-tu, seul de tous, tendre, ô Daçarathide,
L’arc immense d’or pur que Çiva m’a donné !
Ma fille est le trésor par les Dieux destiné
          À qui ploiera l’arme splendide.

— Je briserai cet arc comme un rameau flétri ;
Les Dêvas m’ont promis la plus belle des femmes ! —
Il saisit l’arme d’or d’où jaillissent des flammes,
          Et la tend d’un bras aguerri.