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POÈMES ANTIQUES.

Les Brahmanes pleuraient en proie aux noirs ennuis.

Une plainte est au fond de la rumeur des nuits,
Lamentation large et souffrance inconnue
Qui monte de la terre et roule dans la nue :
Soupir du globe errant dans l’éternel chemin,
Mais effacé toujours par le soupir humain.
Sombre douleur de l’homme, ô voix triste et profonde,
Plus forte que les bruits innombrables du monde,
Cri de l’âme, sanglot du cœur supplicié,
Qui t’entend sans frémir d’amour et de pitié ?
Qui ne pleure sur toi, magnanime faiblesse,
Esprit qu’un aiguillon divin excite et blesse,
Qui t’ignores toi-même et ne peux te saisir,
Et sans borner jamais l’impossible désir,
Durant l’humaine nuit qui jamais ne s’achève,
N’embrasses l’infini qu’en un sublime rêve ?
Ô douloureux Esprit, dans l’espace emporté,
Altéré de lumière, avide de beauté,
Qui retombes toujours de la hauteur divine
Où tout être vivant cherche son origine,
Et qui gémis, saisi de tristesse et d’effroi,
Ô conquérant vaincu, qui ne pleure sur toi ?

Et les sages pleuraient. Mais la blanche Déesse,
Ganga, sous l’onde assise, entendit leur détresse.
Dans la grotte de nacre, aux sables d’or semés,
Mille femmes peignaient en anneaux parfumés
Sa vierge chevelure, odorante et vermeille ;