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BHAGAVAT.

Si ce n’est le plus doux et le plus beau des Dieux.
Sans lui tout me consume et tout m’est odieux.
Sous les figuiers divins, le Lotus à cent feuilles,
Bienheureux Bhagavat, si jamais tu m’accueilles,
Puissé-je, ô Bhagavat, chassant le doute amer,
M’ensevelir en toi comme on plonge à la mer !

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Ainsi dans les roseaux se lamentaient les sages.
Des pleurs trop contenus inondaient leurs visages,
Et le Fleuve gémit en réponse à leurs voix,
Et la nuit formidable enveloppa les bois.
Les oiseaux s’étaient tus, et sur les rameaux frêles
Aux nids accoutumés se reployaient leurs ailes.
Seuls, éveillés par l’ombre, en détours indolents,
Les grands pythons rôdaient, dans l’herbe étincelants ;
Les panthères, par bonds musculeux et rapides,
Dans l’épaisseur des bois chassaient les daims timides ;
Et sur le bord prochain, le tigre, se dressant,
Poussait par intervalle un cri rauque et puissant.
Mais le ciel, dénouant ses larges draperies,
Faisait aux flots dorés un lit de pierreries,
Et la lune, inclinant son urne à l’horizon,
Épanchait ses lueurs d’opale au noir gazon.
Les lotus entr’ouvraient sur les eaux murmurantes,
Plus larges dans la nuit, leurs coupes transparentes ;
L’arôme des rosiers dans l’air pur dilaté
Retombait plus chargé de molle volupté ;
Et mille mouches d’or, d’azur et d’émeraude,
Étoilaient de leurs feux la mousse humide et chaude.