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POÈMES ANTIQUES.


ANGIRA


J’ai vécu, œil fixé sur la source de l’Être,
Et j’ai laissé mourir mon cœur pour mieux connaître.
Les sages m’ont parlé, sur l’antilope assis,
Et j’ai tendu l’oreille aux augustes récits ;
Mais le doute toujours appesantit ma face,
Et l’enseignement pur de mon esprit s’efface.
Je suis très malheureux, mes frères, entre tous.
Mon mal intérieur n’est pas connu de vous ;
Et si mes yeux parfois s’ouvrent à la lumière,
Bientôt la nuit épaisse obscurcit ma paupière.
Hélas ! L’homme et la mer, les bois sont agités ;
Mais celui qui persiste en ses austérités,
Celui qui, toujours plein de leur sublime image
Dirige vers les Dieux son immobile hommage,
Ferme aux tentations de ce monde apparent,
Voit luire Bhagavat dans son cœur transparent.
Tout resplendit, cité, plaine, vallon, montagne ;
Des nuages de fleurs rougissent la campagne ;
Il écoute, ravi, les chœurs harmonieux
Des Kinnaras sacrés, des femmes aux beaux yeux,
Et des flots de lumière enveloppent le monde.
Le vain bonheur des sens s’écoule comme l’onde ;
Les voluptés d’hier reposent dans l’oubli ;
Rien qui dans le néant ne roule enseveli ;
Rien qui puisse apaiser ta soif inexorable,
Ô passion avide, ô doute insatiable,