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BHAGAVAT.

Et mère mourut, pâle, le lendemain.
Comme un enfant privé du seul être qui l’aime,
Moi, je me lamentais dans ma douleur suprême.
De vallée en colline et de fleuve en forêts,
Pâle, cheveux épars et gémissant, j’errais
À travers les grands monts et les riches contrées,
Les agrestes hameaux et les villes sacrées ;
Sous le soleil qui brûle et dévore, et souvent
Poussant des cris d’angoisse emportés par le vent.
Dans le bois redoutable ou sous l’aride nue
Les chacals discordants saluaient ma venue,
Et la plainte arrachée à mon cœur soucieux
Éveillait la chouette aux cris injurieux.
Venu pour y dormir dans ce lieu solitaire,
Aux pieds d’un pippala je m’assis sur la terre ;
Et je vis une autre âme en mon âme, et mes yeux
Voyaient croître sur l’onde un lotus merveilleux ;
Et, du sein entr’ouvert de la fleur éternelle,
Sortait une clarté qui m’attirait vers elle.
Depuis, pareils aux flots se déroulant toujours,
Dans cette vision j’ai consumé mes jours ;
Mais la source des pleurs n’est point tarie encore.
Dans l’ombre de ma nuit ta clarté que j’adore
Parfois s’est éclipsée, et son retour est lent,
Des êtres et des Dieux, ô le plus excellent !
Sous les figuiers divins, le Lotus à cent feuilles.
Bienheureux Bhagavat, si jamais tu m’accueilles,
Puissé-je, délivré du souvenir amer,
M’ensevelir en toi comme un fleuve à la mer !