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KHIRÔN.

Que, tel qu’un voyageur errant quand la nuit tombe,
Mon immortalité s’est heurtée à la tombe !
Je mourrai ! Le Destin m’attend au jour prescrit.
Mais ta voix, ô mon fils, a calmé mon esprit.
Les justes Dieux, comblant mon orgueilleuse envie,
Bien au delà des temps ont prolongé ma vie,
Et si je dois tomber comme un guerrier vaincu,
Calme je veux mourir, ainsi que j’ai vécu.
Ecoute ! des vieux jours je te dirai l’histoire.
Leurs vastes souvenirs dormaient dans ma mémoire,
Mais ta voix les réveille, et ces jours glorieux
Vont éclairer encor leur ciel mystérieux.
Ô mon hôte ! aussi loin que mon regard se plonge,
Aux bornes du passé qui flotte comme un songe,
Quand la Terre était jeune et quand je respirais
Les souffles primitifs des monts et des forêts ;
Des sereines hauteurs où s’épandait ma vie,
Quand j’abaissais ma vue étonnée et ravie,
À mes pieds répandu, j’ai contemplé d’abord
Un peuple qui des mers couvrait le vaste bord.
De noirs cheveux tombaient sur les larges épaules
De ces graves mortels avares de paroles,
Et qui, de Pélasgos, fils de la Terre, issus,
S’abritaient à demi de sauvages tissus.
Au sol qui les vit naître enracinés sans cesse,
Ils paissaient leurs troupeaux, pacifique richesse,
Sans que les flots profonds ou les sombres hauteurs
Eussent tenté jamais leurs pas explorateurs.
Arès au casque d’or, aux yeux pleins de courage,