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POÈMES ANTIQUES.

Poussant jusques aux cieux de belliqueux murmures,
Autour d’une nef noire aux destins hasardeux
Attendent que ma voix te conduise auprès d’eux.
Sur la plage marine où j’ai dressé ma tente,
Environnant mon seuil de leur foule éclatante,
Tous m’ont dit : — Noble Orphée aux paroles de miel,
De qui la lyre enchante et la terre et le ciel,
Va ! sois de nos désirs le puissant interprète ;
Que le sage Centaure à te suivre s’apprête,
Puisque des Minyens les héros assemblés,
Au delà des flots noirs par l’orage troublés,
Las d’un lâche repos et d’une obscure vie,
Vont chercher la Toison qu’un Dieu nous a ravie.
Rappelle-lui Phryxos avec la blonde Hellé,
Rejetons d’Athamas, que conçut Néphélé,
Alors qu’abandonnant les rives d’Orkhomène
Ils fuyaient vers Aia leur marâtre inhumaine.
Et le Bélier divin les portait sur les mers.
La jeune Hellé tomba dans les gouffres amers ;
Et Phryxos, pour calmer son ombre fraternelle,
Immola dans Kolkhos ce nageur infidèle.
Il suspendit lui-même, au milieu des forêts,
La brillante toison dans le temple d’Ares ;
Et depuis, un dragon aux Dieux mêmes terrible
Veille sur ce trésor, gardien incorruptible.
Immense, vomissant la fumée et le feu,
De ses mouvants anneaux il entoure ce lieu.
Il n’a dormi jamais, et tout son corps flamboie ;
Il rugit en lion, en molosse il aboie ;