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BHAGAVAT.

Telle, la Vie immense, auguste, palpitait,
Rêvait, étincelait, soupirait et chantait,
Tels, les germes éclos et les formes à naître
Brisaient ou soulevaient le sein large de l’Être.
Mais, dans l’inaction surhumaine plongés,
Les Brahmanes muets et de longs jours chargés,
Ensevelis vivants dans leurs songes austères,
Et des roseaux du Fleuve habitants solitaires,
Las des vaines rumeurs de l’homme et des cités,
En un monde inconnu puisaient leurs voluptés :
Des parts faites à tous choisissant la meilleure,
Ils fixaient leur esprit sur l’Âme intérieure.
Enfin, le jour, glissant sur la pente des cieux,
D’un long regard de pourpre illumina leurs yeux ;
Et, sous les jujubiers qu’un souffle pur balance,
Chacun interrompit le mystique silence.



MAITREYA


J’étais jeune et jouais dans le vallon natal,
Au bord des bleus étangs et des lacs de cristal,
Où les poules nageaient, où cygnes et sarcelles
Faisaient étinceler les perles de leurs ailes,
Dans les bois odorants, de rosée embellis,
Où sur l’écorce d’or chantaient les bengalis,
Et j’aperçus, semblable à l’Aurore céleste,
La vierge aux doux yeux longs, gracieuse et modeste,
Qui de loin s’avançait, foulant les gazons verts.
Ses pieds blancs résonnaient de mille anneaux couverts ;