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LES PLAINTES DU CYCLOPE.

— Plus vive que la chèvre ou la fière génisse,
Plus blanche que le lait qui caille dans l’éclisse,
Ô Galatée, ô toi dont la joue et le sein
Sont fermes et luisants comme le vert raisin !
Si je viens à dormir aux cimes de ces roches,
A la pointe du pied, furtive, tu m’approches ;
Mais, sitôt que mon œil s’entr’ouvre, en quelques bonds,
Tu m’échappes, cruelle, et fuis aux flots profonds !
Hélas ! je sais pourquoi tu ris de ma prière :
Je n’ai qu’un seul sourcil sur ma large paupière,
Je suis noir et velu comme un ours des forêts,
Et plus haut que les pins ! Mais, tel que je parais,
J’ai des brebis par mille, et je les trais moi-même :
En automne, en été, je bois leur belle crème ;
Et leur laine moelleuse, en flocons chauds et doux,
Me revêt tout l’hiver, de l’épaule aux genoux.
Je sais jouer encore, ô Pomme bien aimée,
De la claire syrinx, par mon souffle animée :
Nul Cyclope, habitant l’Ile aux riches moissons,
N’a tenté jusqu’ici d’en égaler les sons.
Veux-tu m’entendre, ô Nymphe, en ma grotte prochaine ?
Viens, laisse-toi charmer, et renonce à ta haine :
Viens ! Je nourris pour toi, depuis bientôt neuf jours,
Onze chevreaux tout blancs et quatre petits ours !
J’ai des lauriers en fleur avec des cyprès grêles,
Une vigne, une eau vive et des figues nouvelles ;
Tout cela t’appartient, si tu ne me fuis plus !
Et si j’ai le visage et les bras trop velus,
Eh bien ! je plongerai tout mon corps dans la flamme,