Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes antiques.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
POÈMES ANTIQUES.

Ismène et Kléodos, Phédime et Pélopis
Chancellent tour à tour, pareils à des épis
Que le gai moissonneur, l’âme de plaisir pleine,
Ainsi qu’un blond trésor amasse dans la plaine.
Ils sont tous là sanglants, vierges, jeunes guerriers,
La tête ceinte encor de myrte ou de lauriers ;
Belles et beaux, couchés dans leur blanche khlamyde
Que le sang par endroits teint de sa pourpre humide.
L’une garde en tombant le sourire amoureux
Dont ses lèvres brillaient en des jours plus heureux ;
L’autre, calme, et dormant dans sa pose amollie,
Couvre de ses cheveux son jeune flanc qui plie...
Leurs frères, à leurs pieds, par la Moire surpris,
Gisent amoncelés au milieu des débris.
Amphiôn, à l’aspect de sa famille éteinte,
Dans l’ardente douleur dont son âme est atteinte,
Ouvre son sein royal, et, sous un coup mortel,
Presse le front des siens de son front paternel.
Niobé le contemple, immobile et muette ;
Et, de son désespoir, comprimant la tempête,
Seule vivante au sein de ces morts qu’elle aimait,
Elle dresse ce front que nul coup ne soumet.

Comme un grand corps taillé par une main habile,
Le marbre te saisit d’une étreinte immobile.
Des pleurs marmoréens ruissellent de tes yeux ;
La neige du Paros ceint ton front soucieux.
En flots pétrifiés ta chevelure épaisse
Arrête sur ton cou l’ombre de chaque tresse ;