Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes antiques.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144
POÈMES ANTIQUES.

Jusqu’aux monts Phocéens roule et murmure encore.
Mille étalons légers, impatients du frein,
Liés aux chars roulant sur les axes d’airain,
Superbes, contenus dans leur fougue domptée,
Mâchent le mors blanchi d’une écume argentée.
Qu’ils sont beaux, asservis, mais fiers sous l’aiguillon,
Et creusant dans la poudre un palpitant sillon !
Les uns, aux crins touffus, aux naseaux intrépides,
De l’amoureux Alphée ont bu les eaux rapides.
Ceux-ci remplis encor de sauvages élans,
Sous le hardi Lapithe assouplissent leurs flancs,
Et, rêvant, dans leur vol, la libre Thessalie,
Hennissent tout joyeux sous le joug qui les lie ;
Ceux-là, par Zéphyros sur le sable enfantés,
Nourris d’algue marine, et sans cesse irrités,
S’abandonnant au feu d’un sang irrésistible,
Ont du dieu paternel gardé l’aile invisible,
Et, toujours ruisselants de rage et de sueur,
Jettent de leurs grands yeux une ardente lueur.
Ils entraînent, fumants d’une brûlante haleine,
Les grands vieillards drapés dans la pourpre ou la laine,
Graves, majestueux, couronnés de respect ;
Et les jeunes vainqueurs au belliqueux aspect,
Qui, fiers du noble poids de leur gloire première,
Sur leurs casques polis font jouer la lumière.
Les enfants de Kadmos, à leur trace attachés,
S’agitent derrière eux, haletants et penchés ;
Et dans Thèbes bientôt les coursiers qui frémissent
Déposent les guerriers sous qui les chars gémissent.