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HÉLÈNE.

Poursuit la blanche Nymphe à l’ombre des roseaux !
Salut, ô mont Taygète, ô grottes, ô vallées,
Qui, des rires joyeux de nos vierges, troublées,
Sur les agrestes fleurs et les gazons naissants,
Avez formé mes pas aux rythmes bondissants !
Salut, chère contrée où j’ai vu la lumière !
Trop fidèles témoins de ma vertu première,
Salut ! Je vous salue, ô patrie, ô beaux lieux.
D’Hélène pour jamais recevez les adieux.
Une flamme invincible irrite dans mes veines
Un sang coupable… Assez, assez de luttes vaines,
D’intarissables pleurs, d’inutiles remords !...
Accours ! emporte-moi, Phrygien, sur tes bords !
Achève enfin, Éros, ta victoire cruelle.
Et toi, fille de Zeus, ô gardienne infidèle,
Pallas, qui m’as trahie ; et vous, funestes Dieux,
Qui me livrez en proie à mon sort odieux,
Qui me poussez aux bras de l’impur adultère…
Par le Fleuve livide et l’Hadès solitaire,
Par Niobé, Tantale, Atrée et le Festin
Sanglant ! par Perséphone et par le noir Destin,
Par les fouets acharnés de la pâle Érinnye,
Ô Dieux cruels, Dieux sourds ! ô Dieux, je vous renie !
Viens, Priamide ! viens ! je t’aime, et je t’attends !


DÉMODOCE.


Ah ! qu’il presse sa fuite ! — Hélène, il n’est plus temps.
Sur l’écume du fleuve il vogue, et j’en rends grâces
Aux Dieux ! Les flots mouvants ont effacé ses traces.