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À des cadavres noirs, embaumés, mais vivants,
Si frêles, que leurs mains obéissent aux vents,
Et que le sable fin, aux vagues nonchalantes,
Ne garde même pas la trace de leurs plantes.
Leur mort ne salira pas même les pavés.
D’autres, l’orbite vide, avec les yeux crevés
Et l’angoisse tendue en leurs gestes d’aveugle,
Dans la stupidité lourde du bœuf qui beugle,
Sous les sangles de cuir brisant leurs reins ployés
Tourneront le cylindre où les épis broyés
Gémissent, comme sur la plaine blanche et rase,
Les peuples et les rois que ta puissance écrase.
D’autres encor, rivés au carcan, par milliers,
Doreront de leur sang, pour tes hautains piliers,
Les rocs démesurés arrachés aux collines.
Et, sur tes escaliers peuplés de javelines,
Où les chefs d’orient t’apportent leurs tributs,
Où viennent effarés et peuples et tribus,
Où devant ton courroux le monde s’agenouille,
Quand ton pied glissera sur des taches de rouille,
Peut-être qu’en ton âme, ô Roi dominateur,
Tu sentiras frémir et palpiter le cœur
Des générations qui scièrent ses dalles
Et leur pourpre humecter tes superbes sandales.