Page:Leconte - La Jeunesse de Leconte de Lisle, 1909, AB, t24.djvu/5

Cette page a été validée par deux contributeurs.
449
la jeunesse de leconte de lisle


jeune encore et toute d’une venue, la força à se préciser en modifiant ses conditions, et à se déterminer plus nettement par la réflexion et la lutte ; je veux dire, jusqu’au moment de son départ pour la France.

On pouvait s’attendre à trouver dans l’âme du jeune créole, comme dans celle de tous les grands pessimistes, une tendance sans cesse affirmée vers l’ennui et la tristesse, une réflexion sans cesse repliée sur elle-même avec une nuance de dégoût et de perpétuel découragement. Or il n’en est rien ; largement ouverte, gaie, franche, affectueuse, toujours prête à s’éprendre et à aimer, telle nous apparaît au premier abord l’âme du poète. Et c’est ce qui explique dans une large mesure ce besoin d’universelle sympathie, cette tendance vers la pitié et vers l’amour des hommes que nous le voyons manifester avec insistance dans les premiers écrits qu’il adressait à ses amis. Car il était entouré d’une petite société d’élite, de quelques fils de planteurs que ne satisfaisait pas non plus la vie matérielle et monotone de l’île. Le dimanche soir, ils se promenaient longtemps, loin de la ville, sur les grèves de Saint-Paul, s’entretenant de politique et de religion, défendant avec passion la religion et l’humanité contre l’action malfaisante et encore une fois triomphante de la tyrannie et de l’intolérance. Et, toute la semaine, retenu chez son père, dans « les Hauts », loin de la côte, enfermé de par la volonté paternelle dans un tête-à-tête souvent fastidieux avec quelques livres classiques, il ne vivait que du souvenir de ces discussions ; car ses opinions à cette époque nous apparaissent comme essentiellement républicaines et philosophiques. Républicain, il répugne aux atrocités, à l’injustice, à la veulerie de l’ancien régime, injustice cruelle et veulerie que n’a fait qu’accentuer le règne ridicule des rois de la Restauration. Philosophe et religieux, mais d’une religion supérieure, toute d’harmonie et de pitié, il relève avec froideur, avec sévérité l’erreur du catholicisme, la situation fausse de la Cour romaine, qu’il accuse d’avoir « profané et blasphémé la sublimité de l’âme de Dieu » et d’avoir oublié « sa véritable mission ». Et ces premières attaques sont moins le