Rennes, avec une bienveillance douteuse, en parlant des gens
qui viennent d’autres villes de France, surtout de Paris.
Ajoutons que le cas de ces malheureux « étrangers »
s’aggravait encore s’il s’agissait d’hommes au service de l’État,
gens réputés en général assez « mal pensants », comme
ayant (chose abominable !) des opinions politiques et
métaphysiques autres que celles du milieu ; tout ce qu’ils
méritaient, c’était évidemment que tout bon Rennais leur fît, au
moral comme dans la réalité, ce qu’on appelle « l’épaule
rennaise », geste fort gracieux, comme chacun sait. Quoi
qu’il en soit, La Variété restait introuvable à bien des
travailleurs qui auraient pu en tirer quelque chose d’utile pour
l’Histoire littéraire générale.
Mais admirez l’ingéniosité du hasard, qui se charge parfois de bouleverser les petits calculs de l’égoïsme étroit et malveillant des hommes. Une succession s’ouvre ; une famille, indifférente aux trésors littéraires, vend en bloc les vieux bouquins, et c’est ainsi que La Variété va s’échouer au marché aux vieilles ferrailles… Un étudiant d’histoire, M. Bourdais, l’y découvre, l’achète, puis cède sa trouvaille à M. Le Hir, le très aimable et très obligeant bibliothécaire de la ville de Rennes. Le précieux volume est désormais à la disposition des travailleurs, qui n’auront plus que la peine d’en demander communication. Habent sua fata libelli, et voilà comment les richesses littéraires, comme les autres, rentrent dans la circulation générale d’où elles n’auraient jamais dû sortir.
Ces quelques lignes n’étaient pas inutiles, ce nous semble, pour faire comprendre comment il a pu se faire qu’à Rennes, centre de hautes études universitaires, professeurs et étudiants d’enseignement supérieur aient vu si longtemps leurs travaux sur Leconte de Lisle, gênés et entravés par l’esprit, « vieux-Rennais », esprit de particularisme étroit, routinier, résolument « misonéiste », à peu près comme en 1840 ; et que La Variété, aux mains de quelques heureux, trop heureux possesseurs, soucieux de garder jalousement leur bien à l’abri des regards curieux, ait ainsi échappé aux recherches
