blessés. S’il s’était laissé prendre à de telles illusions, il ne
lui fallut pas longtemps se trouver engagé dans cette vie
matérielle et vainement satisfaite des créoles industriels et
commerçants, ni entendre, dans le cri de douleur du nègre
qu’on châtie, l’appel impérieux, incessant de l’humanité
minée par le mal social, pour songer de nouveau à la lutte,
et avec plus de détermination et d’audace que jamais. Et si,
lors de son retour en France, après un dernier séjour de
dix-huit mois dans son pays natal, il éprouvait encore
quelques scrupules à se joindre au mouvement Fouriériste,
auquel d’ailleurs il ne donna jamais une approbation sans
réserves ; quand, après trois années de lutte, entraîné par
l’élan irrésistible des faits de la vie parisienne, il vit se
produire, avec l’établissement du régime de 1848, l’écroulement
de toutes les idées qui lui étaient chères ; sans faire de
distinction de nuances ou de partis, il se mêla à la troupe
ardente des idéalistes, des fougueux, qui couraient défendre
sur les barricades la liberté du peuple, la justice une dernière
fois opprimée par ceux qui exerçaient le pouvoir.
Ce fut là la grande agonie de son rêve révolutionnaire. Vaincu par le nombre de ceux que l’intérêt attache aux régimes établis ; découragé aussi par l’insouciance et la veulerie des opprimés, qui n’ont pas le courage de se défendre, il renonça à l’action, sans toutefois trahir sa foi démocratique. Mais désabusé dans une partie de son idéal, il reporta vers l’art divin, vers la poésie, la force de son activité, inutile ailleurs : « En vérité, écrivait-il à un communiste, n’es-tu pas pris comme moi d’une immense pitié, en songeant à ce misérable fracas de pygmées, à ces ambitions malsaines d’êtres inférieurs ! Ne me dis pas que la lutte est ouverte entre les principes moraux que nous confessons tous deux et les iniquités sociales. Il y a bien des siècles que cette lutte est commencée, et elle se perpétuera jusqu’au jour où le globe s’en ira en poussière dans l’espace… Mais il n’y a pas qu’une seule façon d’y prendre part. Les efforts et les modes d’effort varient en raison de la diversité et de la hiérarchie des esprits, et les œuvres d’art pèsent dans la balance d’un
