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la jeunesse de leconte de lisle


pour celui qui aurait réfléchi, voyant l’admiration du poète pour la belle et forte figure de Lélia[1], il était facile de prévoir que la véritable réponse serait : Non !

Et cette réponse, Leconte de Lisle devait la mettre, en effet, dans la bouche de son héroïne lorsqu’il retoucha son poème quelque temps après. Cette rédaction nouvelle, profondément bouleversée, resta inachevée et ne fut jamais publiée par l’auteur[2]. Rejetant enfin toute hésitation, toute contrainte, il y proclamait hautement la nécessité de lutter et de souffrir pour la libre vérité :


À quoi bon, Lélia, tous ces regrets infimes ?
Ne laisse pas longtemps tes deux ailes sublimes
  S’engourdir dans le deuil ;
Vers le ciel irrité lève ta forte tête :
Le courage n’est beau qu’au sein de la tempête ;
  Le génie est l’orgueil !


Ce poème, par l’idée, par la violence de l’expression, par la profondeur du sentiment, semble comme une première ébauche de Qaïn. En même temps le poète s’affirmait de plus en plus dans sa foi libérale et républicaine. Dans un des derniers numéros de La Variété il avait, à propos du fameux procès suscité par la publication de la brochure : Du pays et du gouvernement, et qui valut à Lamennais un an de prison à Sainte-Pélagie, publié un poème où il exaltait la haute dignité de l’auteur du Livre du peuple et la grandeur de sa mission véritablement prophétique ; lorsque tomba La Variété, il se consacra exclusivement à ses idées républicaines et sociales. Par Lamennais, il touchait à l’école Fouriériste.

On lira avec profit l’ouvrage que M. Louis Tiercelin a consacré à cette période de la vie de Leconte de Lisle. Dégoûté de ses études de droit qui ne lui avaient jamais présenté le moindre intérêt ; persécuté par son oncle pour la hardiesse

  1. Il s’agit de l’héroïne du fameux roman de George Sand, transformée et idéalisée par le poète.
  2. On pourra la trouver dans le volume de M. Guineaudeau, Lettres et poèmes inédits de Leconte de Lisle (Fasquelle, 1902).