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Au couple fidèle on vint dire :
« Quittez-vous pour ne plus vous voir ;
« D’un Dieu vengeur redoutez l’ire !
« Vous haïr est votre devoir.
« — Quoi nous haïr ! Mais la nature
« Pour nous aimer nous créa tous :
« Peut-elle d’une flamme pure
« Voir les progrès avec courroux. »

En vain nos amans supplièrent :
L’un à l’autre on les arracha.
En vain des larmes ils versèrent :
Du couvent on les menaça.
Après plusieurs mois de misère,
Comme par miracle échappés,
Enfin ils purent se soustraire
À leurs tyrans préoccupés.

« Viens, dit Hylas à son Hélène,
« Suis-moi dans le fond des forêts.
« Abandonnons l’espèce humaine
« Si peu digne de nos respects.
« Leurs lois, faites pour l’imposture,
« Ne nous permet pas d’être époux ;
« Appelons-en à la nature
« Par devant elle unissons-nous. »

Nos deux amans firent voyage
Incognito, d’un pied léger,
Vers une région sauvage
Où les cœurs peuvent s’engager.
Là, sans prêtres et sans notaires,
Sur un autel de gazon frais,
Au milieu d’un bois solitaire
Ils s’unirent à peu de frais.

Leurs travaux et leur industrie
Embelirent ces lieux déserts.
Ils oublièrent leur patrie
Et furent pour eux l’univers.