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Renouveau.


Avez-vous jamais songé, vous qui n’avez point connu l’amertume et les tristesses de l’exil, avez-vous jamais songé, dis-je, à ce que pouvait être notre existence là-bas, dans cette lande aride, loin des bruits du monde, loin de la civilisation ? Avez-vous jamais songé comment pouvait se passer nos minutes, nos heures, nos journées, nos semaines, nos longs mois ? Avez-vous songé surtout à ces nuits, ces longues nuits d’insomnie, où l’on pense, où l’on souffre, où l’on soupire et où l’on pleure ? Vous qui n’avez pas connu l’exil, vous ne pouvez vous représenter ce que fut pour nous cette période, hiver prématuré de notre vie, survenu en pleine force de l’âge et annihilant toutes nos facultés. Vous n’avez pas connu ces sombres jours, où le cœur meurtri, l’âme en détresse et le cerveau vide, le pauvre captif erre, tourne en rond à l’intérieur de ses grilles, échafaudant mille projets, forgeant de chimériques espoirs lui donnant le courage d’espérer et de lutter, ou le plongeant dans des heures mélancoliques et « cafardeuses ». Vous qui n’avez pas été privé de la vue de tout ce qui vous est cher, êtres et choses, ni de la liberté, ne pouvez connaître les souffrances de l’exilé ; vous qui n’avez point vu vos camarades privés de soins,