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dont les personnages nous accompagnent désormais avec les traits, le geste et l’attitude qu’il leur a donnés.

Nous connaissons déjà le paysage ordinaire de ses tableaux, la Bretagne, la terre aimée dont il eût pu répéter ce que G. Sand disait de ses traînes du Berry : « C’était moi-même, c’était le vêtement de ma propre existence. »[1] Des taillis, une lande en fleurs, un ruisseau, un étang, tel est le cadre presque invariable dans lequel se meuvent ses modestes héros. Il se marie si bien à la situation du poème que les deux souvenirs restent désormais inséparables et n’en font plus qu’un dans notre mémoire. De plus, sous une apparente monotonie, le paysage de Brizeux est d’une merveilleuse variété. Il fait songer aux toiles de J. Breton : le peintre artésien a reproduit vingt fois les campagnes de son pays, plates, immenses, s’étendant à perte de vue avec les champs de blé jaune ou vert. Pas une colline n’interrompt la ligne droite de l’horizon ; un arbre rare, le profil d’un clocher, une silhouette de sarcleuse émergent seulement dans cette fuite infinie de plaines et de ciel. Et malgré tout, il y a dans chacune de ces toiles un charme imprévu, l’artiste sait tirer de sa terre natale des trésors de poésie nouvelle qui nous procurent chaque fois une émotion inéprouvée. Ainsi fait Brizeux : son imagination s’alimente éternellement à la même source, elle ne se fatigue pas d’y puiser et elle le fait avec un tel bonheur que vous croyez toujours contempler pour la première fois un paysage qui rappelle tous les autres, sans en reproduire aucun.

« Il est plus poète qu’artiste, » disait Flaubert en parlant d’A. de Musset. C’est le contraire qui est vrai de Brizeux. Chez lui, le poète est inférieur à l’artiste,

  1. Caro. — G. Sand, p. 129.