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de paris à bordeaux et à vichy

Une discussion s’est ouverte depuis sur le nombre de voix qui avait marqué le vote. En fait, on ne vote pas en général au Conseil des ministres. Après que le débat s’est poursuivi librement et que chacun, de lui-même, ou sur invitation du président, a donné son avis, le chef de l’État ou le président du Conseil fait le point ; il indique qu’une majorité s’est affirmée en faveur de telle ou telle thèse. Si personne n’élève de protestation, ce qui fut le cas ce jour-là, car le résultat de la discussion n’était pas douteux[1], on considère le vote comme acquis.

Au sortir du Conseil, je m’entretiens avec M. Reynaud. Il me conseille d’appeler pour le remplacer le maréchal Pétain placé au cœur de la nouvelle majorité.

Je consulte les présidents du Sénat et de la Chambre et leur fais part de mon intention.

J’appelle donc le maréchal. Je lui confie la mission de former le nouveau Cabinet, le priant de se hâter pour que le lendemain, à son réveil, la France ne soit pas privée de gouvernement.

Il ouvre aussitôt son portefeuille et me présente la liste de ses collaborateurs. Heureuse surprise pour moi ! Je n’étais pas habitué à une telle rapidité ; je me rappelais, non sans amertume, les constitutions de ministères si pénibles auxquelles j’avais présidé pendant mon séjour à l’Élysée.

Je donne au maréchal quelques indications sur telle ou telle personnalité portée sur sa liste dont il ne paraît pas très bien connaître le passé politique. Je le dissuade de confier à M. Laval le portefeuille des Affaires étrangères pour éviter de nouvelles complications du côté britannique, puis je lui cède mon cabinet pour qu’il puisse sans désemparer constituer le gouvernement.

Il appelle ceux des anciens ministres qu’il garde avec lui ; il convoque quelques hommes nouveaux. À ce moment se produit une intervention de M. Charles Roux, secrétaire

  1. À la séance de la veille, M. Paul Reynaud avait placé sous mes yeux une feuille de papier où il avait noté l’attitude des ministres : quatorze favorables à la proposition Chautemps, six opposés à cette proposition.