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témoignage

Comme les temps sont changés ! Jadis tout était joie, gaîté, enthousiasme. Aujourd’hui ce n’est que tristesse et humiliation, car on a appris, par surcroît, que l’armée allemande a fait ce matin son entrée dans Paris.

L’atmosphère de la ville est mauvaise. L’incertitude des nouvelles, l’avance allemande, l’afflux des réfugiés, tout cela crée un grand malaise, un trouble certain dont vont profiter les membres de la cinquième colonne pour activer leur propagande néfaste. Les parlementaires venus des diverses provinces sont entourés, chambrés, chapitrés. On montre l’inutilité de la lutte ; il faut en finir.

Ne quittant pas la préfecture le jour, je ne puis apprécier directement un tel état de fait. Je suis renseigné par les membres de mon Cabinet et quelques amis.

Je dois dire que chaque soir, éprouvant le besoin de prendre l’air après des journées si remplies de soucis, je gagne les quais du fleuve où règne un grand calme, m’efforçant de deviner à travers les saluts échangés et les propos entendus l’état d’esprit des promeneurs.

15 juin. — Conseil des ministres à 16 heures. Le président du Conseil donne connaissance d’un message du gouvernement britannique où il est dit notamment :

« Nous renouvelons à la nation française notre serment et notre résolution de poursuivre la lutte coûte que coûte, en France, dans cette île, sur les océans et dans les airs, partout où elle pourrait nous conduire, utilisant nos ressources jusqu’aux extrêmes limites et portant ensemble le fardeau de la réparation des ravages de la guerre. Nous ne nous détournerons jamais du combat tant que la France ne sera pas rétablie aussi droite et sûre qu’auparavant dans toute sa grandeur. »

M. Reynaud expose à nouveau les raisons qui doivent inciter la France à poursuivre la lutte ; nous sommes battus seulement sur le plan terrestre et dans la France métropolitaine ; notre flotte et notre empire sont intacts, notre aviation reste un facteur important. L’honneur et l’intérêt de la France lui interdisent de déserter la coalition dont elle fait partie et dont les chances de victoire seraient diminuées par cette désertion.