Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.


AVANT-PROPOS



Des amis m’avaient parfois demandé, pendant mon séjour à l’Élysée, si je publierais un jour mes Mémoires. J’avais toujours répondu par la négative. À quoi cela sert-il ? disais-je. Les historiens de l’avenir ne trouveront-ils pas, pour accomplir leur œuvre, tous les éléments nécessaires dans les nombreuses sources qui s’offrent à eux : journaux, débats parlementaires, archives diplomatiques, publications diverses ?

D’ailleurs les Mémoires personnels se proposent plutôt de faire valoir leurs auteurs que de fixer les événements auxquels ces derniers ont été mêlés. But chimérique souvent. Comme l’écrit spirituellement Louis Barthou : « Quand la politique a classé quelqu’un, sa physionomie est faite et aussi sa légende. Il essaye vainement de secouer le masque ; au lieu de le détacher, il le fixe. »

Aussi bien, les précédents touchant les anciens chefs d’État sont-ils dans le sens de l’abstention. Ni Émile Loubet, ni Armand Fallières n’ont laissé de Mémoires. Je me suis parfois entretenu de cette question avec eux en un temps où je ne pensais guère être un jour leur successeur. Ils étaient très fermes sur ce point. Hommes modestes, citoyens éminents, fervents démocrates, il leur paraissait inutile d’ajouter quoi que ce fût aux actes qui avaient conditionné leur existence politique. Le sens à y attacher s’était manifesté jour par jour au cours de leur longue vie publique. S’il prenait fantaisie à quelque écrivain de préciser leur rôle dans l’his-