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de paris à bordeaux et à vichy

ne doit donc pas hésiter à s’éloigner de Paris si les circonstances l’exigent.

9 juin. — La situation militaire s’aggrave de jour en jour. L’attaque générale allemande, commencée le 5 juin sur la Somme, l’Oise et l’Aisne se poursuit de la Manche à l’est de Château-Thierry. La 10e armée, qui tient le front de la mer à Vernon, est coupée en deux. La fraction de l’ouest est isolée. Deux divisions britanniques se rembarquent, une division française est prisonnière. L’armée de Paris (7e) couvre l’Oise de Chantilly à Compiègne. L’armée de droite (6e) a été rejetée sur la Marne. L’ennemi menace de tourner la défense de Paris par la basse Seine à l’ouest et par la Marne à l’est.

Le soir, à 17 heures, Conseil des ministres. Le général Weygand fait un exposé complet de la situation. Grande impression de tristesse. Le maréchal Pétain ne dit rien. Il est comme endormi, prostré. Je l’interroge :

— Ne voulez-vous pas donner votre avis, monsieur le maréchal ? Ces messieurs sont anxieux de vous entendre.

— Je n’ai rien à dire, répond-il.

Il semble que dès ce moment il considère la défaite comme acquise et qu’il n’y a plus rien à faire. Il avait été appelé au gouvernement par M. Paul Reynaud pour y apporter une force de résistance. En fait, il semblait s’orienter dans la voie contraire.

Le Conseil des ministres décide le départ du gouvernement et son repli sur la Loire aux endroits désignés d’avance pour chaque ministère.

Je reste éveillé toute la nuit. La situation de notre armée est-elle vraiment si critique ? Faut-il dès maintenant envisager la défaite et toutes ses conséquences ?

Je veux espérer encore, malgré le pessimisme des appréciations du haut commandement.

Je me rappelle en effet qu’en 1914 nous sommes passés par les mêmes angoisses. Il faut relire les Mémoires du maréchal Joffre pour revivre les heures graves d’alors :

« De partout m’arrivait l’écho de défaillances qui me faisaient redouter l’effondrement du moral des troupes ; le découragement commençait à se faire sentir dans toutes les