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témoignage

et Sambre et, par la trouée de l’Oise et la vallée de la Somme, gagnaient l’ouest jusqu’à Boulogne et Calais. Dès lors l’armée française était coupée en deux tronçons. Au nord, le 1er groupe d’armées et le corps expéditionnaire britannique en étaient réduits à une bataille d’usure qui devait se terminer en désastre malgré la vaillance des troupes formant l’arrière-garde. Une seule perspective de salut : s’embarquer à Dunkerque pour gagner l’Angleterre après avoir perdu tout le matériel.

Il allait incomber au tronçon sud, réduit à ses seules ressources en hommes et en matériel, de poursuivre le combat. L’arrière n’avait pas de réserves suffisantes à amener en ligne. On peut dire que, dès cet instant, la bataille de France était fort compromise, sinon perdue.

D’autres causes sont encore intervenues dans le domaine strictement militaire. Pendant les neuf mois qui ont précédé l’attaque de mai 1940, l’armée n’a pas reçu l’entraînement auquel il fallait d’autant plus la soumettre qu’elle était entrée en campagne sans préparation spéciale. On s’attacha trop à son bien-être matériel, à ses distractions, comme si la guerre n’était pas la plus rude des épreuves, et comme s’il ne fallait pas, dans un tel moment, se cuirasser, se durcir, se préparer à donner et à recevoir des coups.

J’avoue qu’au cours de mes voyages au front entre septembre 1939 et mai 1940, je ne remportai pas que des impressions favorables, surtout sur les arrières des armées. Il me semblait rencontrer des volontés détendues, une discipline relâchée. On n’y respirait pas l’air pur et vivifiant des tranchées de 1914-1918. Quand je m’en ouvrais aux généraux, je les voyais parfois gênés d’avoir à me faire des confidences attristées.

Certes, une fois l’action engagée, la vieille bravoure française se retrouva toujours la même. Malgré quelques rares défaillances, nos troupes ont fait honneur au drapeau. Comme l’écrivait la revue militaire allemande citée plus haut : « Le moral et la tenue des militaires français sont