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la bataille de france

Il n’en reste pas moins que notre armée a connu dans les fatales journées de mai et de juin 1940 une des phases les plus douloureuses de son histoire. On éprouve le besoin d’y attarder sa pensée en vue d’en méditer les causes strictement militaires et d’en dégager les leçons d’avenir.

Sans doute l’une des plus efficientes — j’y ai insisté dans les pages précédentes — a été l’abandon de la France par ses Alliés. Seule elle ne pouvait tenir tête à l’Allemagne avec ses 80 millions d’habitants et ses immenses ressources industrielles et militaires. Du moins demeure-t-on surpris de la soudaineté des événements qui ont marqué la fin des hostilités. Ils ne s’apparentent guère aux souvenirs gardés de la bataille de la Marne où, après une pénible retraite, l’armée française avait pu se ressaisir, opérer un redressement miraculeux et repousser l’ennemi déjà grisé par ses premiers succès.

En fait, il est arrivé cette fois encore ce dont l’histoire offre tant d’exemples. Au lendemain d’une guerre, la nation vaincue telle la France en 1871 n’a qu’un but, qu’une pensée : développer le sens national, cimenter l’union des citoyens autour du drapeau, reconstituer les forces militaires afin de pouvoir, si les circonstances s’y prêtent, effacer les traces de la défaite. Le peuple victorieux marque des tendances contraires. Il est porté à croire à la pérennité de ses succès. Il rêve d’une vie facile. Il s’abandonne. Les efforts, les sacrifices ne sont plus son fait.

Ainsi est-il advenu de la France et de l’Allemagne après 1919. Celle-ci n’a eu qu’une préoccupation, la préparation à une guerre de revanche. Son grand état-major ne l’a pas laissée reposer une heure. Dès 1920, il travaillait à la reconstitution d’une Reichswehr camouflée, violant les clauses militaires du traité de Versailles par son action sur les formations de jeunesse, par la remise en marche clandestine des usines de guerre au moment où la commission interalliée de contrôle s’efforçait de découvrir et de détruire les anciens matériels.