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témoignage

ces deux États soit employée l’une contre l’autre. Toute tentative des puissances venues de l’ouest en vue de changer quelque chose à cela est vouée à un échec. Cette décision marque dans la politique mondiale un tournant d’une importance inouïe et définitive. Je crois que le peuple allemand tout entier saluera avec satisfaction cette attitude politique. Pendant la guerre mondiale, l’Allemagne et la Russie ont lutté l’une contre l’autre, et toutes deux en ont été en définitive les victimes. Cela ne se produira pas une seconde fois. »

On peut se demander, quand on songe aux événements survenus depuis et aux propos prononcés par le chancelier Hitler pour justifier l’attaque allemande contre la Russie le 22 juin 1941 si, dès le 23 août 1939, son dessein n’était pas arrêté déjà de briser l’U. R. S. S. après avoir terrassé la Pologne.

En tout cas, une haine farouche, depuis deux ans, n’a cessé de se développer entre les deux grandes nations du centre et de l’est de l’Europe. Les batailles sanglantes qu’elles se livrent où meurent des millions de leurs fils et qu’elles entendent poursuivre jusqu’à la mise hors de cause de l’une d’elles, semblent bien indiquer que la cordialité des signataires du traité de 1939 n’était qu’apparente. Les sourires affectés de MM. Molotow et de Ribbentrop cachaient sans doute des pensées secrètes et moins sûres.

On n’a pas manqué de dire : puisque la Russie allait faire défaut aux Alliés, ne convenait-il pas de changer soudain de tactique et d’envisager avec l’Allemagne un modus vivendi pour la Pologne comme naguère à Munich pour la Tchécoslovaquie ? Un arrangement même peu favorable vaut toujours mieux qu’une guerre perdue.

À une telle question, beaucoup avaient tendance au début de la guerre, il en faut convenir, à répondre par l’affirmative. Mais, pour peu qu’on y réfléchisse, on voit que c’était là une solution bien dangereuse. C’était échanger la sécurité du moment contre de singulières menaces d’avenir, sans parler de la déconsidération qui eût rejailli sur les nations infidèles à leur promesse de porter secours à la Pologne injustement attaquée.