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témoignage

si l’on peut dire, à bout de nerfs. Il sentait que s’il laissait s’accomplir cette ultime violation du droit que constituait l’agression contre la Pologne, c’en était fait à jamais de sa tranquillité. Les peuples devraient s’incliner désormais devant la force brutale ; pour aucun d’eux il n’y aurait plus ni indépendance, ni sécurité.

Je revois la soirée où, à Londres, après le dîner que m’offrait le roi George VI au palais de Buckingham au cours des fêtes franco-britanniques, Sa Majesté me présenta diverses hautes personnalités, notamment M. Winston Churchill. Ce dernier n’était pas, comme l’ont déclaré certains publicistes français soucieux de plaire à l’Allemagne, un belliciste farouche recherchant la bagarre, mais un politique se demandant avec angoisse comment on pourrait sortir sans intervention armée, mais aussi sans humiliation, de la situation créée par les prétentions allemandes. Il me disait :

— Enfin, monsieur le Président, est-il vraiment possible que le monde assiste indifférent, impuissant, aux menaces qui l’étreignent ? Que convient-il de faire pour y échapper au moindre risque ?

Et moi, d’ajouter :

— Oui, la France partage les préoccupations de la Grande-Bretagne. Comme elle, elle entend résoudre dans la paix les difficultés redoutables devant lesquelles elle se trouve placée ; elle fait tout pour y parvenir. Si d’ailleurs vous disposiez d’une armée de conscription analogue à la sienne, toutes proportions gardées, il y aurait là une réelle garantie de paix.

Bref, pour en revenir à la situation de fait telle qu’elle se présentait à l’automne de 1939, si la France a, non pas déclaré la guerre, mais, contrainte et forcée, accepté d’entrer dans la guerre qui lui était imposée, c’est qu’elle avait le droit de compter sur certains concours. Passer sous silence cet aspect si important de la question, c’est fausser l’histoire.

Que ces concours n’aient pas été en fait ce qu’on pouvait espérer, c’est, hélas ! trop vrai. Que les Alliés de 1939 n’aient pas apporté à la France l’aide efficace que lui donnèrent ceux de 1914-18, c’est une évidence que personne ne peut nier ; c’est précisément là une des causes essentielles de notre défaite.