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la bataille de france

conforme à mes désirs personnels, j’ai éprouvé bien des désillusions, connu bien des soucis.

Lorsque au soir du 6 février 1934 j’entendais monter vers l’Élysée les bruits sinistres des échauffourées de la place de la Concorde, lorsqu’en 1936, au lendemain d’élections où le pays, dans un moment d’exaltation, avait trahi sa propre pensée, je voyais se développer peu à peu les diverses parties d’un programme dont l’application ne pouvait qu’énerver les forces nationales, lorsqu’en 1937, à la veille de l’Exposition, nos ouvriers, d’ordinaire si fiers de leur travail, s’abandonnaient, faisaient la grève sur le tas et n’avaient nul souci de mener leur tâche à son terme pour l’heure où nos hôtes étrangers seraient fidèles au rendez-vous que nous leur avions fixé, lorsque les occupations d’usines désorganisaient le travail et énervaient la production au moment où les nécessités de la défense nationale exigeaient un redoublement d’activité, oui, j’en fais l’aveu, j’ai connu bien des inquiétudes. Je me suis efforcé toujours de les faire partager aux gouvernements en vue de prendre les mesures qu’imposaient les circonstances.

Au lieu de se raidir dans l’effort, de se soumettre aux disciplines nécessaires, de rechercher dans le rapprochement des citoyens l’unité qui fait la force, c’était l’abandon, le laisser-aller, la désunion.

Je veux dire d’ailleurs, pour traduire pleinement ma pensée, que tous les partis avaient leur part de responsabilité. Sans vouloir réveiller ici des polémiques périmées, il faut reconnaître que le Front populaire a été le fruit des émeutes du 6 février. Si les élections de 1936 ont marqué une accentuation vers l’extrême-gauche inattendue pour beaucoup, c’est que les républicains n’oubliaient pas les dangers courus en 1934 par un régime auquel ils étaient attachés de toutes leurs fibres ; ils entendaient tout faire pour le défendre, risquant, pour parvenir à leurs fins, de se laisser entraîner au delà même de leur propre volonté.

Je me vois encore en février 1934 accueillant le bon président Doumergue à son arrivée de Tournefeuille. J’avais eu beaucoup de peine à le décider à venir prendre la barre. Je m’entretenais avec lui des événements de la veille ; je