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la bataille de france

leurs seules forces comme si la guerre n’avait pas été une guerre de coalition et comme si d’autres armées, d’autres peuples ne devaient pas prendre leur part de responsabilités et non des moindres dans l’évolution de la guerre.

On n’est vraiment digne d’aborder l’examen de ces grands événements qui marquent une heure décisive dans notre histoire que si on échappe à ces divers reproches.

Ce qui frappe, avant tout, dans l’échec de mai-juin 1940, c’est sa soudaineté, sa brutalité. Qu’il ait suffi de quelques semaines de combat pour contraindre l’armée française à mettre bas les armes, quelle surprise ! Qui donc, dans les mois qui ont précédé ces heures douloureuses, eût pu le prévoir et y arrêter sa pensée ?

L’armée française ! n’est-ce pas celle-là même qui, à l’été de 1938, avait défilé à Versailles devant le roi et la reine de Grande-Bretagne et au 14 juillet 1939 sur les Champs-Élysées, donnant à tous les spectateurs l’impression d’une force qui faisait dire à l’attaché militaire allemand dans un rapport à son gouvernement : « Surtout, gardons-nous bien de nous attaquer à de tels soldats. » ?

Une revue, dira-t-on, n’est qu’une manifestation d’apparat ; c’est en terrain varié qu’il faut juger une troupe. Or les manœuvres annuelles n’ont jamais révélé de faiblesse. J’ai pour ma part le souvenir d’avoir assisté, en 1935, aux manœuvres d’automne sur l’Aisne, auxquelles était présent le général Badoglio, chef d’état-major général de l’armée italienne ; je me trouvais également au camp de Suippes lors des évolutions effectuées devant le maréchal polonais Rydz-Smigly venu en France pour la signature des accords de Rambouillet. Tout le monde rendait alors hommage aux qualités manœuvrières de nos troupes.

L’armée française ! N’était-elle pas auréolée encore des reflets de la victoire de 1918 ? Ses chefs qui auraient à la commander sur les champs de bataille, si elle devait y paraître à nouveau, n’avaient-ils pas collaboré à cette victoire dans des grades divers et puisé les bons principes