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témoignage

entrant et sortant. On leur prend des interviews. En même temps, les groupes et sous-groupes parlementaires se réunissent ; on y discute les choix éventuels, on jette l’exclusive sur tel ou tel. L’infortuné président voit son œuvre menacée à mesure qu’il l’édifie. Les heures passent, de jour et de nuit ; on s’énerve et quand, à la première heure du troisième ou du quatrième jour, le président du Conseil, épuisé par les veilles et les soucis, vient rendre compte de ses démarches, on s’aperçoit que le résultat auquel il est parvenu ne répond pas à ce qui avait été convenu avec le chef de l’État ; la combinaison a dévié en cours de formation ; par surcroît, elle comporte un nombre de ministres et de sous-secrétaires d’État supérieur aux nécessités. Pour mettre un terme à la crise qui a déjà trop duré, on en reste là. Est-il besoin de dire que les considérations de personnes et de partis avaient tenu une place excessive dans ces longues négociations !

J’ai même vu le cas où un candidat évincé venait protester auprès de moi au lendemain de la constitution du ministère. Il me démontrait que les affaires de la France ne pourraient prospérer si on ne créait pas tel ou tel sous-secrétariat d’État nouveau dont, bien entendu, il serait le titulaire.

J’en fais l’aveu. De telles habitudes provoquaient chez moi une véritable nausée. Comment un gouvernement né dans des conditions si troubles, si désordonnées, pouvait-il présider en toute dignité aux destinées du pays ?

Il faut que ces pratiques, et d’autres que je pourrais dénoncer, cessent. Il faut revenir à des méthodes plus saines. L’avenir de la République est à ce prix.

Le point crucial de la réforme est là : faire que chaque pouvoir exerce son activité dans le domaine que lui a réservé la Constitution sans empiéter sur le voisin. Entre le régime temporaire de Vichy où la volonté de la nation ne pouvait plus s’exprimer, où on avait le sentiment qu’un grand nombre de décisions, issues de l’autorité arbitraire de quelques hommes, étaient manifestement contraires à cette volonté et le régime d’avant 1940, où le pouvoir parlementaire s’ingérait abusivement dans des domaines où il n’avait que faire, il faut trouver un juste milieu.