Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/255

Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
grandeurs et servitudes

naient le pays dans des voies désastreuses : désordres budgétaires, inflation, dévaluation de la monnaie.

Des lois sociales également n’avaient pas mon adhésion, telle la loi des quarante heures. Pas une fois je n’ai été appelé en Conseil des ministres à signer un des nombreux décrets pris en application de cette loi sans faire observer aux membres du gouvernement que l’apposition de ma signature n’emportait pas mon adhésion morale.

Non pas, certes, que je fusse opposé au principe de la loi. La réglementation de la durée du travail dans une démocratie bien ordonnée est une tâche nécessaire. À diverses reprises, j’ai manifesté ma sympathie pour elle en présidant, assisté du sympathique sous-secrétaire d’État Léo Lagrange, tombé glorieusement sur les champs de bataille du Nord, des cérémonies organisées pour la mise en œuvre des loisirs ouvriers.

Mais je trouvais prématurée cette initiative de limitation du travail français au moment où l’Allemagne déployait dans ses usines de guerre une grande activité, portant la durée hebdomadaire du travail à soixante heures et quelquefois plus. Qui sait combien de tanks et d’avions nous ont manqué de ce fait en 1940 !

Que pouvais-je faire ? Sans doute démissionner. J’y ai pensé après les élections de 1936, au lendemain de la constitution du nouveau gouvernement. Après avoir accompli mon devoir constitutionnel en appelant au pouvoir le ministère que commandait la récente consultation populaire, je me suis demandé si ma conscience ne me conseillait pas de me retirer. Je puis dire ici — c’est la première fois que j’en fais l’aveu — que j’y ai très sérieusement réfléchi. Il n’était pas difficile d’apercevoir les voies mauvaises où le peuple français venait de s’engager et les conséquences fâcheuses qui en devaient résulter pour lui. Quelle tentation de se décharger des responsabilités du pouvoir dans un pareil moment et de revenir plus tard en triomphateur quand les événements vous ont, hélas ! donné raison.

Après mûre délibération, j’ai pensé que le devoir me commandait de rester. Si j’étais parti, l’Assemblée nationale n’aurait pas manqué d’élire un nouveau président pris au