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témoignage

affecté le moral du pays si on les avait connues à l’époque.

J’ai compris ce jour-là combien était délicate la position du chef de l’État. Avec un président du Conseil de la trempe de Clemenceau il lui fallait en dernière analyse baisser pavillon et se rallier. Qu’on veuille bien relire dans les divers Mémoires parus sur cette époque les discussions épiques qui mirent aux prises ces deux hommes à l’occasion de la nomination de tel ou tel grand chef, de telle ou telle opération militaire, et surtout lors de la préparation du traité de paix.

Dans le domaine de la politique intérieure, j’ai eu, au cours de mes huit années de présidence, ma part de soucis.

Certes, les membres des nombreux gouvernements qui se sont succédé de 1932 à 1940 ont toujours été à mon égard très corrects et très déférents. J’ai entretenu avec eux les meilleures relations personnelles ; toutes les fois qu’un événement fait de tristesse ou de joie s’est produit dans leur famille ou dans la mienne, nous avons toujours trouvé les uns pour les autres des résonances où s’accusait une grande cordialité. Mais dans la conduite des affaires, il y a eu parfois des contrariétés.

Notamment après les élections de 1936, la politique du « Front populaire », avec ses outrances et ses excès, ne s’accordait pas avec mes idées de toujours.

Convaincu que le maintien de l’ordre dans la rue était indispensable à la prospérité du pays, je ne pouvais me résoudre à certaines pratiques, notamment à la formation de cortèges désordonnés qui parfois traversaient des quartiers entiers de Paris, avec un accompagnement de chants séditieux et de poings tendus. On attendait dans une demi-anxiété la tombée de la nuit, heureux quand la journée se terminait sans incidents.

Que dire aussi des occupations d’usines, de cette triste période où l’on sentait dans l’air comme une folie collective à laquelle l’autorité désarmée ne savait pas mettre un frein nécessaire !

Dans l’Économie et les Finances, je ne pouvais accepter davantage certaines théories en cours ; j’étais bien assuré par avance — l’avenir l’a amplement démontré — qu’elles entraî-