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grandeurs et servitudes

du personnel qui devait se réunir régulièrement à jour dit, toutes les semaines, même sans que rien fût porté à l’ordre du jour ; il avait pour mission d’examiner des questions qui à mon sens ne pouvaient échapper à l’autorité supérieure sans organiser le trouble et l’indiscipline. Au cours d’un entretien avec le chef de Cabinet qui, appartenant à la Cour des Comptes, était imbu des principes d’ordre, je n’eus pas de peine à le persuader que ce décret soulevait des critiques sérieuses. Le lendemain, le projet me revenait avec les modifications que j’avais suggérées. Je dois dire que, quand plus tard, après le changement de gouvernement, voulant replacer sous mes yeux les pièces suggestives de ce petit dossier, j’en fis demander la communication, on me répondit qu’il avait disparu.

Je pourrais citer de nombreux cas du même genre. Comme ces tractations se passaient dans le silence du Cabinet, elles restaient inconnues.

Une situation délicate pour le président, une servitude, si je puis dire, se présente lorsqu’il n’est pas en accord avec la politique suivie par le gouvernement.

Il en est plusieurs exemples. Sans évoquer les conditions dans lesquelles Casimir-Périer et Alexandre Millerand quittèrent la présidence après démission, je me rappelle certaines confidences que me fit naguère Émile Loubet. À ses intimes il ne cachait pas sa mauvaise humeur en présence de certaines mesures prises par le ministère Combes dans le domaine religieux où il apercevait des menaces pour le maintien de la paix publique.

Plus récemment, on a connu les démêlés de Poincaré et de Clemenceau. Certes les deux hommes étaient également patriotes ; c’est à qui des deux apporterait le plus d’ardeur à la conduite de la guerre et au salut de la patrie en danger. Mais ils y tendaient par des moyens et dans des esprits différents, reflets de leurs tempéraments personnels si dissemblables. Que de fois, ministre du Blocus dans le Cabinet Clemenceau, ai-je été le témoin de ces heurts ! Ils se traduisaient par des échanges de lettres qui eussent singulièrement