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témoignage


C’est la logique des choses avec une Constitution comme celle qui nous régit.

Il ne peut y avoir deux chefs responsables dans l’État. La responsabilité doit être là où est la souveraineté. C’est devant les Chambres élues par la nation souveraine que les ministres sont responsables solidairement de la politique générale du gouvernement et individuellement de leurs actes personnels. Le pouvoir s’exerce en fait par l’organe du président du Conseil.

L’irresponsabilité présidentielle n’est pas seulement une commodité, une fiction ; elle est une réalité, une nécessité.

Lorsque la France, prise dans son entité, a un rôle à jouer, c’est le président de la République qui la personnifie : réception des chefs d’État et des ambassadeurs, visite aux capitales étrangères, multiples manifestations de la vie intérieure : revues militaires et navales, cérémonies où sont magnifiés les lettres, les sciences et les arts, etc… Il représente la permanence au travers des gouvernements variables au gré des majorités parlementaires. En cas de crise ministérielle, faisant effort pour s’élever au-dessus des partis et pour interpréter sainement la volonté du pays affirmée par les votes des Chambres, il désigne le futur président du Conseil. En accord avec lui, il nomme les nouveaux ministres.

Ainsi seulement peut être aménagé suivant les principes de la Constitution de 1875 le jeu normal du régime parlementaire.

Est-ce à dire que le président est impuissant, qu’il n’est, suivant une plume irrévérencieuse quoique illustre, qu’un « soliveau » ?

Il n’en est rien. Comme l’a écrit Poincaré, par la légitime influence que lui donnent son titre et sa valeur propre, il jouit d’une grande autorité morale. À lui de s’en servir à bon escient.

Lorsqu’en mai 1932, au lendemain de la mort tragique du regretté Paul Doumer, j’entrai à l’Élysée après quelques heures seulement pour me préparer à cette grave détermination, je savais toutes les difficultés de ma tâche, ses grandeurs et ses servitudes. Sans évoquer mes entretiens de naguère avec Émile Loubet et Armand Fallières, j’avais trop vécu