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grandeurs et servitudes

habilement saisi l’occasion de l’offensive ? Que serait-ce si nos armées ne s’étaient pas si courageusement battues ? Fatalement, ce serait sur moi que se concentreraient aujourd’hui tous les ressentiments, toutes les rancunes. Demain, au moindre revers, tout recommencera peut-être. Mon métier est d’attirer la foudre sur ma tête afin qu’elle ne tombe pas sur trop de gens à la fois. Je ne puis m’empêcher de dire que le peuple juif était heureusement inspiré lorsque, à la fête des expiations, il chassait dans le désert le pauvre bouc Azazel chargé de tous les péchés d’autrui. Cet innocent animal serait très bien à sa place dans la bergerie de Rambouillet, près du château présidentiel.

Page 398. — M. Delanney me signale non, me semble-t-il, sans un peu de complaisance, une campagne que mène d’après lui contre moi « la bourgeoisie conservatrice et, en particulier, le monde du Palais ». On ne précise, dit-il, aucun reproche, mais on est de mauvaise humeur et on s’en prend naturellement à moi. Cet état d’esprit dérive du malaise économique, de la prolongation du moratorium, de la stagnation des affaires plus encore peut-être que des tristesses et des émotions de la guerre. Il se traduit par un persiflage discret, mais continu, sur « le gouvernement de Bordeaux » qu’on personnifie volontiers dans le président de la République.

Page 402. — Cependant les lettres d’injures continuent et on ne cesse de nous traiter, les ministres et moi, de « fuyards » et de « froussards », parce que le gouvernement a cru devoir céder aux instances de l’autorité militaire. Légende vénéneuse, chiendent tenace que l’Histoire aura du mal à extirper.

Page 438. — Une grande part de ces critiques m’est naturellement réservée. Je suis responsable de tout ce qui se passe et plus particulièrement de tout ce qui se passe malgré moi. Comme j’en prendrais joyeusement mon parti si, après cela, la France était sauvée !

Page 439. — Comme les renseignements qui me sont fournis à cet endroit me paraissent insuffisants, je fais prier le directeur de l’Artillerie de venir conférer avec moi ou de m’envoyer un de ses collaborateurs. Millerand, qui