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grandeurs et servitudes
Volume v.

Page 66. — À peine suis-je renseigné d’ailleurs dans ma geôle élyséenne sur ce qui se passe au quartier général. Je m’en plains amèrement au ministre de la Guerre. Dans une lettre personnelle qu’il m’adresse ce matin, il m’affirme « sur l’honneur » ne rien savoir de plus que moi. C’est peu. C’est trop peu.

Page 122. — La concentration étant terminée, j’exprime à M. Messimy l’intention d’aller le plus tôt possible avec lui sur le front pour adresser à nos armées les encouragements des pouvoirs publics. Il est personnellement favorable à cette visite, mais il croit devoir consulter le G. Q. G. et celui-ci ne croit pas le moment venu. Jusqu’à nouvel ordre, me voilà donc forcé de rester en charte privée et, chef d’État républicain, de passer pour un roi fainéant. Mais la parole est à l’armée. Je me tais et je m’incline.

Page 123. — Je partage l’avis de M. Clemenceau. Mais je suis dépourvu par la Constitution de tout moyen d’action personnelle et, jusqu’ici, ni le G. Q. G., ni le ministre de la Guerre ne me donnent guère plus de renseignements qu’à la presse et au public. J’ai beau réclamer, on ne me répond que par le silence et la force d’inertie.

Page 151. — La poste d’aujourd’hui m’apporte une multitude de lettres de bonnes gens qui critiquent passionnément les opérations militaires, qui blâment le général en chef et ses lieutenants, qui me mettent en cause avec la même âpreté, qui me donnent des conseils et me tracent des plans. Dès que le cœur de la France bat un peu plus fort, mon courrier souffre d’une enflure malsaine.

Page 208. — Le Conseil des ministres se trouve, par suite, amené à envisager l’éventualité d’un investissement de Paris. Millerand annonce alors froidement qu’en pareil cas, et d’accord avec le général Joffre, il proposera à la dernière heure le départ du gouvernement qui n’a pas, dit-il, le droit de se laisser couper et isoler de la nation. Il me semble prématuré d’examiner cette question et j’obtiens qu’elle soit réservée.