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témoignage

elle-même et contrôler souverainement, par l’entremise des représentants qu’elle se donne, l’action quotidienne des Cabinets responsables. En même temps elle veut que, dans l’État, toutes les fonctions, les plus modestes et les plus hautes, soient consciencieusement remplies par ceux à qui elles sont confiées et elle attend du président de la République comme de tous les citoyens qu’il s’acquitte intégralement et sans défaillance des devoirs qui lui incombent. Les principaux de ces devoirs, les plus nobles, les plus sacrés, vous venez de les définir vous-même. Puisqu’il est chargé de représenter la nation tout entière, il doit chercher à se hausser au-dessus des intérêts particuliers, même les plus légitimes et à n’envisager, en toutes choses, que l’utilité générale ; il doit se dégager du contingent et de l’éphémère pour affirmer en son esprit la notion des nécessités permanentes ; il doit dépouiller de toutes complications accidentelles les diverses questions qui se présentent à lui et tâcher de les considérer exclusivement du point de vue français. Lorsqu’il lui est donné de visiter un beau département comme le vôtre, son rôle s’en trouve singulièrement facilité. Tout ici respire l’amour du travail et la santé morale, tout y respire un patriotisme ferme et réfléchi. »

Page 161. — À peine ces nouvelles me sont-elles parvenues à l’Élysée, que M. Ribot et ses collègues, ministres et sous-secrétaire d’État, m’apportent leur démission collective. Je les remercie de leur dévouement et les félicite de leur courage. Ils s’éloignent et je reste seul, plus seul que jamais, dans le triste palais qui m’a été donné pour sept ans comme observatoire du ciel politique. Heureusement, mon frère Lucien, directeur au ministère de l’instruction publique, ma femme et ma belle-sœur viennent m’arracher à ma mélancolie. Nous dînons en famille et leur prévenante affection arrache de mon esprit les idées noires qui l’assaillent. Mais dès que je me retrouve livré à moi-même, je me demande avec anxiété ce que réclame l’intérêt supérieur du pays. L’ordre du jour de la Chambre est une sommation qui m’est destinée.

Mon devoir est-il de partir ? mon devoir est-il de rester ?