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témoignage

d’un autre, à la chute brutale d’un troisième. J’ai payé la rançon de mon irresponsabilité constitutionnelle en essuyant à maintes reprises les reproches contradictoires des partis opposés qui voulaient, les uns et les autres, mettre à leur service exclusif mon autorité nominale. Ce n’est pas sans un continuel effort de volonté que j’ai réussi à éloigner de moi la lassitude et le découragement, parfois même la répugnance et le dégoût. En ces jours d’incertitude et d’anxiété, je n’ai eu qu’un réconfort, l’image de la France toujours présente à mon esprit.

Page 27. — Dans les Conseils qui se tenaient à l’Élysée, je disais librement mon opinion sur toutes choses, mais je n’avais pas la vaine prétention de l’imposer aux ministres responsables.

Page 120. — Les élections, surtout après le second tour, sont favorables aux gauches avancées et particulièrement aux socialistes, qui seront au nombre de 102 dans la Chambre nouvelle. Je rentre à Paris le 15 mai. Les journaux, surexcités par la bataille, m’adressent sans ménagement des reproches contradictoires. Les feuilles réactionnaires blâment vertement ma neutralité et affectent de ne pas comprendre pourquoi je ne suis pas intervenu, de toute mon autorité nominale, pour décider le ministre de l’intérieur et le gouvernement tout entier à exercer sur la consultation du pays une influence modératrice. M. Clemenceau triomphe. Il chante dans l’Homme libre la défaite de M. Briand et de ses alliés de droite. Il me représente ballotté entre Charlotte et Mathurine. Il me consacre chaque matin deux longues colonnes d’ironie amère et concentrée. Je ne puis répondre à personne. J’ai les mains liées et la bouche muette. Charmant apanage de ma dignité présidentielle ; je dois rester impassible et considérer, dans un sombre silence, ceux qui agissent et qui parlent.

Le Conseil des ministres reprend le 15 mai ses séances interrompues. M. Malvy, le jeune et ardent ministre de l’intérieur, se félicite des élections radicales et communique à ses collègues du Cabinet la statistique officielle des résultats. M. Noulens, ministre de la Guerre, vient causer avec moi après le Conseil. Il est inquiet des promesses téméraires