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le futur traité de paix

des sacrifices imposés aux autres peuples victimes de son agression ?

Une première mesure devra être prise d’urgence : la restitution des objets volés. L’Allemagne a accumulé chez elle des richesses multiples prélevées dans les pays occupés : or, bijoux, objets d’art, tableaux, bétail, locomotives et wagons, machines-outils, outillages divers, installations et canalisations électriques, etc. Rien de plus juste que de la contraindre à rendre en identique ou en équivalent ce qu’elle a emporté.

Pareille mesure a été appliquée en 1919 non sans profit. Nos forges du Nord et de l’Est avaient été dépouillées au profit des usines de la Sarre et de la Ruhr. Les mêmes ouvriers allemands qui, en 1915 et 1916, avaient démonté nos laminoirs, nos presses, nos fours électriques, furent condamnés à les remonter à la même place en 1919. Un jour qu’avec mon collègue Loucheur, ministre de l’Armement, j’assistais à la remise en marche d’une aciérie de la région de Longwy, nous fûmes très intéressés par l’application apportée par les ouvriers spécialistes d’outre-Rhin à leur travail de remise en place.

Il en fut de même pour les animaux, notamment pour notre magnifique cheptel chevalin de race ardennaise que les Allemands avaient transféré dans leurs écuries. Un incident assez curieux à cet égard se produisit que j’aime à rappeler.

Quand je me rendis en novembre 1918 dans nos villages lorrains, je fus frappé de leur grande détresse : plus un cheval, plus une vache, plus un mouton, plus un porc, plus une volaille. En se repliant, l’armée allemande avait, contrairement d’ailleurs aux termes de l’armistice, emporté le peu qui restait encore après les quatre années d’occupation. Il suffisait de parcourir quelques kilomètres, de franchir la frontière allemande pour trouver des campagnes florissantes. Ici, chez le vainqueur, plus rien : pas de lait, pas d’œufs, pas de viande ; là-bas, chez le vaincu, tout en abondance. Ministre des Régions libérées, je ne pouvais accepter pareille injustice.

Aussi, à la veille du renouvellement de l’armistice du 11 novembre parvenu à son terme de trois mois, je vins