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le futur traité de paix

passion et lui valut, par sa finesse et sa roublardise, des succès marqués !

Ce qui reste inexplicable pour les hommes de ma génération qui ont vécu ces heures difficiles de notre histoire, ce sont les raisons profondes qui ont pu séparer à ce point les anciens Alliés.

Faudra-t-il penser que l’Angleterre a faite sienne la pensée de son Premier ministre telle qu’elle ressort d’un mot échangé entre lui et Clemenceau ? Ce dernier rapporte que, passant un jour à Londres, Lloyd George le pria de venir le voir à la Chambre des Communes :

« Sa première parole fut pour me demander si j’avais quelque chose à lui dire.

« — Oui bien, répondis-je, j’ai à vous dire que, dès le lendemain de l’armistice, je vous ai trouvé l’ennemi de la France.

« — Eh bien ! me répondit-il, n’est-ce pas notre politique traditionnelle ? (Well, was it not always our traditional policy ?). »

Mot cruel de la part d’un Britannique qui avait joué un rôle si éminent pendant la guerre et collaboré si activement à la victoire commune !

On se perd en conjectures quand on examine à la lumière des événements actuels les conséquences qu’ont eues pour les Alliés leur désintégration. Pour s’éviter les misères présentes, il leur eût suffi, comme au cours de la guerre, d’affirmer leur union, de se soutenir les uns les autres, lorsqu’il s’agissait d’exiger de l’Allemagne l’exécution de tel ou tel article du traité.

Ce que l’on peut dire toutefois (je m’excuse de faire cette constatation), c’est que la France a été parmi les Alliés le pays le plus clairvoyant. Si ses avis avaient prévalu, sans doute eût-on évité la seconde grande guerre. Si les Alliés avaient apporté au désarmement de l’Allemagne la même application qu’elle, s’ils avaient exigé le payement des réparations inscrites au traité de paix, s’ils avaient accepté une fixation des frontières constituant une garantie contre les futures agressions, si la Société des Nations, les groupant tous dans son sein, avait été munie par eux d’un pouvoir