Page:Lebrun - Témoignage, 1945.djvu/196

Cette page a été validée par deux contributeurs.
184
témoignage

En se refusant à approuver le traité de paix et à occuper son siège à la Société des Nations, la grande démocratie américaine a porté un coup fatal à cet organisme.

Étrange destin ! C’est à l’appel du président Wilson et presque sous sa dictée qu’avaient été rédigés les articles du fameux covenant ; et voici qu’au moment de lui donner vie, son pays s’en désintéressait et se retirait sous sa tente, laissant à tous ces « agités d’Europe » le soin de régler leurs propres affaires.

Erreur manifeste reconnue depuis par les Américains eux-mêmes, puisqu’ils sont unanimes aujourd’hui à réprouver l’isolationnisme et à réclamer leur place dans l’organisation de la sécurité internationale au lendemain de la guerre. Dans les débats mémorables qui se sont poursuivis il y a quelque temps déjà à la Chambre des Représentants et au Sénat de Washington, des motions ont été votées dans ce sens. Au cours de la récente campagne présidentielle, les deux partis démocrate et républicain ont affirmé leur volonté de réclamer pour leur pays sa part de responsabilité et d’action dans l’organisation générale de la paix.

C’est à qui fera preuve des plus fermes résolutions dans ce sens. En écartant des assemblées parlementaires les derniers tenants de l’isolationnisme, les électeurs américains ont apporté leur totale adhésion à la résolution des deux partis.

Mettant leur grande autorité morale et le poids de leurs immenses ressources au service de la paix, les États-Unis accompliront un acte de la plus haute importance qui ne peut qu’aviver encore les regrets d’un passé où, pour le malheur du monde, ils avaient adopté une attitude contraire.

Une seconde lacune de la Ligue des Nations de 1919 était de n’avoir à sa disposition que sa force morale et d’être appelée à agir surtout en paroles : « Surparlement dont l’unique emploi, quand il faudrait des actes, serait de surparler » comme le dit quelque part plaisamment Clemenceau.

Si le monde n’avait compris que des peuples pacifiques ou pour le moins décidés à s’en remettre, en cas de conflit, à l’arbitrage du Conseil de la Société des Nations, l’organisme tel qu’il avait été constitué eût suffi à sa tâche. Mais